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ami, pas de ça!
Pourquoi voulez-vous que le riche agisse avec les pauvres autrement qu'avec les riches et les puissants? Il
leur paie ce qu'il leur doit, et s'il ne leur doit rien, il ne leur paie rien. C'est la probité. S'il est probe, qu'il en
fasse autant pour les pauvres. Et ne dites point que les riches ne doivent rien aux pauvres. Je ne crois pas
qu'un seul riche le pense. C'est sur l'étendue de la dette que commencent les incertitudes. Et l'on n'est pas
pressé d'en sortir. On aime mieux rester dans le vague. On sait qu'on doit. On ne sait pas ce qu'on doit, et l'on
verse de temps en temps un petit acompte. Cela s'appelle la bienfaisance, et c'est avantageux.
Mais ce que vous dites là n'a pas le sens commun, mon cher collaborateur. Je suis peut-être plus socialiste
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Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables
que vous, mais je suis pratique. Supprimer une souffrance, prolonger une existence, réparer une parcelle des
injustices sociales, c'est un résultat. Le peu de bien qu'on fait est fait. Ce n'est pas tout, mais c'est quelque
chose. Si le petit conte que je vous demande attendrit une centaine de mes riches abonnés et les dispose à
donner, ce sera autant de gagné sur le mal et la souffrance. C'est ainsi que peu à peu on rend la condition des
pauvres supportable.
Est-il bon que la condition des pauvres soit supportable? La pauvreté est indispensable à la richesse, la
richesse est nécessaire à la pauvreté. Ces deux maux s'engendrent l'un l'autre et s'entretiennent l'un par l'autre.
Il ne faut pas améliorer la condition des pauvres ; il faut la supprimer. Je n'induirai pas les riches en aumône,
parce que leur aumône est empoisonnée, parce que l'aumône fait du bien à celui qui donne et du mal à celui
qui reçoit, et parce qu'enfin, la richesse étant par elle-même dure et cruelle, il ne faut pas qu'elle revête
l'apparence trompeuse de la douceur. Puisque vous voulez que je fasse un conte pour les riches, je leur dirai:
"Vos pauvres sont vos chiens, que vous nourrissez pour mordre. Les assistés font aux possédants une meute
qui aboie aux prolétaires. Les riches ne donnent qu'à ceux qui demandent. Les travailleurs ne demandent rien.
Et ils ne reçoivent rien."
Mais les orphelins, les infirmes, les vieillards?...
Ils ont le droit de vivre. Pour eux je n'exciterai pas la pitié, j'invoquerai le droit.
Tout cela, c'est de la théorie! Revenons à la réalité. Vous me ferez un petit conte à l'occasion des étrennes,
et vous pourrez y mettre une pointe de socialisme. Le socialisme est assez à la mode. C'est une élégance. Je
ne parle pas, bien entendu, du socialisme de Guesde, ni du socialisme de Jaurès ; mais d'un bon socialisme
que les gens du monde opposent avec à-propos et esprit au collectivisme. Mettez-moi dans votre conte des
figures jeunes. Il sera illustré, et l'on n'aime, dans les images, que les sujets gracieux. Mettez en scène une
jeune fille, une charmante jeune fille. Ce n'est pas difficile.
Non, ce n'est pas difficile.
Ne pourriez-vous pas introduire aussi dans le conte un petit ramoneur? J'ai une illustration toute faite, une
gravure en couleurs, qui représente une jeune fille faisant l'aumône à un petit ramoneur, sur les marches de la
Madeleine. Ce serait une occasion de l'employer... Il fait froid, il neige ; la jolie demoiselle fait la charité au
petit ramoneur... Vous voyez cela?
Je vois cela.
Vous broderez sur ce thème.
Je broderai. Le petit ramoneur, transporté de reconnaissance, se jette au cou de la jolie demoiselle qui se
trouve être la propre fille de M. le comte de Linotte. Il lui donne un baiser et imprime sur la joue de cette
gracieuse enfant un petit O de suie, un joli petit O tout rond et tout noir. Il l'aime. Edmée (elle se nomme
Edmée) n'est pas insensible à un sentiment si sincère et si ingénu... Il me semble que l'idée est assez
touchante.
Oui... vous pourrez en faire quelque chose.
Vous m'encouragez à continuer... Rentrée dans son appartement somptueux du boulevard Malesherbes,
Edmée éprouve pour la première fois de la répugnance à se débarbouiller: elle voudrait garder sur la joue
l'empreinte des lèvres qui s'y sont posées. Cependant le petit ramoneur l'a suivie jusqu'à sa porte ; il reste en
extase sous les fenêtres de l'adorable jeune fille... Cela va-t-il?
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Mais oui...
Je poursuis. Le lendemain matin, Edmée, couchée dans son petit lit blanc, voit le petit ramoneur sortir de la
cheminée de sa chambre. Il se jette ingénument sur la délicieuse enfant et la couvre de petits O de suie, tout
ronds. J'ai oublié de vous dire qu'il est d'une beauté merveilleuse. La comtesse de Linotte le surprend dans ce
doux travail. Elle crie, elle appelle. Il est si occupé qu'il ne la voit ni ne l'entend.
Mon cher Marteau...
Il est si occupé qu'il ne la voit ni ne l'entend. Le comte accourt. Il a l'âme d'un gentilhomme. Il prend le
petit ramoneur par le fond de la culotte, qui précisément se présente à ses yeux, et le jette par la fenêtre.
Mon cher Marteau...
J'abrège... Neuf mois après, le petit ramoneur épousait la noble jeune fille. Et il n'était que temps. Voilà les
suites d'une charité bien placée.
Mon cher Marteau, vous vous êtes assez payé ma tête.
N'en croyez rien. J'achève. Ayant épousé mademoiselle de Linotte, le petit ramoneur devint comte du Pape
et se ruina aux courses. Il est aujourd'hui fumiste, rue de la Gaîté, à Montparnasse. Sa femme tient la boutique
et vend des salamandres, à dix-huit francs, payables en huit mois.
Mon cher Marteau, ce n'est pas drôle.
Prenez garde, mon cher Horteur. Ce que je viens de vous conter, c'est, au fond, La Chute d'un Ange, de
Lamartine, et l'Eloa, d'Alfred de Vigny. Et, à tout prendre, cela vaut mieux que vos petites histoires
larmoyantes, qui font croire aux gens qu'ils sont très bons alors qu'ils ne sont pas bons du tout, qu'ils font du
bien alors qu'ils ne font pas de bien, qu'il leur est facile d'être bienfaisants, alors que c'est la chose la plus
difficile du monde. Mon conte est moral. De plus il est optimiste et finit bien. Car Edmée trouva dans la
boutique de la rue de la Gaîté le bonheur qu'elle aurait cherché en vain dans les divertissements et les fêtes, si [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]
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